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Acclimater les idées des autres

mardi 2 décembre 2008

Texte de Jean-Louis Hue

Comme Hitchcock dans ses films, Daniel Maja aime à se promener dans ses dessins. Il est généralement accompagné de ses chats, de quelques palmiers, de pots à thé et à crayons, d’un piano sur lequel Ewa sa compagne joue des mélodies aussi distendues que l’espace qui les réfléchit. Comme à l’habitude, Maja rit dans sa barbe. Paisible gardien de bestiaires paresseux, il habite un monde dont il a su assouplir les lignes et gommer tout angle. Mouvements liquides et silences de chats.

Sur la scène de ce théâtre – un univers à la lisière du rêve, un temps retrouvé -, Maja reçoit ses visiteurs. Ils viennent souvent de contrées rugueuses où les angles sont droits et les idées austères. Maja les apprivoise à sa manière, douce et facétieuse. Sans jamais de prétention ni de moquerie. C’est cela son travail d’illustrateur. Acclimater les idées des autres dans ce monde subtilement décalé qui est le sien. Il y a un magicien en lui, mais Maja tire de son chapeau des choses autrement plus surprenantes que des lapins. Depuis plus de vingt ans qu’il illustre les pages du Magazine littéraire, je l’ai vu réussir des prouesses insensées. Comme de faire sortir du chapeau de Raymond Roussel les grenouilles de Jean-Pierre Brisset (pour le dossier sur les excentriques de la littérature). Ou de faire comprendre la phénoménologie et d’en faire rire (ce qui, depuis Husserl, ne s’était jamais vu). Ou de raconter la vie de Descartes à la manière d’une bande dessinée (on voit le philosophe, enfant, méditer dans son berceau tandis que son amour de jeunesse garde les oies). Et comment réussir à signifier l’essence du scepticisme ? Maja a pris un linge, il l’a fait tordre par deux personnages un peu myopes et fourbus, qui ressemblent à des pharmaciens que Chaval lui-même n’aurait pas désavoués. Le linge a pris une forme de point d’interrogation, le tour était joué. On en reste bouche bée.

Maja sait traduire par des images lumineuses des concepts souvent impénétrables. Lui seul pouvait camper le surhomme de Nietzsche, mettre en scène la faculté de juger chère à Kant, représenter le monde comme une branloire pérenne, à la manière de Montaigne. Résumant la philosophie des Epicuriens, il a hissé un pourceau au haut d’une colonne corinthienne. Travaux d’Hercule menés par un homme qui a tout lu, ou presque, et dresse sur le papier des tours de Babel qui peuvent contenir tous les livres de la terre. Pour symboliser le Magazine littéraire, Maja a dessiné jadis une carte du Tendre où la passion de la littérature se substitue aux sentiments amoureux. Soyons rassurés. Grâce à lui, les peines de cœur sont inconnues en notre pays.

Jean-Louis Hue


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