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Restons stoïques!

mardi 13 septembre 2011

RESTONS STOÏQUES !

LES STOÏCIENS. LE BON USAGE DES PASSIONS DE SENEQUE A MICHEL FOUCAULT. LE MAGAZINE LITTERAIRE. N° 461.  Février 2007 . Illustrations : DANIEL MAJA.

Chaque année Le Magazine littéraire consacre le dossier central d’un de ses numéros à l’Antiquité gréco-romaine. Après Homère, les Epicuriens, Augustin et Platon c’est au tour des stoïciens de s’y coller , ou plutôt d’y être collés, aucun aréopage de sages, fussent-ils stoïciens, n’auraient la folie de se commettre à la gageure de résumer toute une philosophie en moins de quarante pages !

Autant annoncer les couleurs tout de suite, bleu égéen et ocre amphoréen, la meilleure contribution vous sautera aux yeux : ce sont les illustrations de Daniel Maja qui ponctuent avec une intelligence décalée les exercices imposés des plus grands spécialistes actuels du stoïcisme. Ce n’est pas parce qu’il a existé une école stoïcienne qu’il faut faire scolaire. En bon cancre du fond de la classe qui n’a rien compris à la leçon mais en a retenu l’essentiel, à savoir que le secret de la sagesse stoïcienne réside en l’exercice de sa propre volonté conçue en tant que liberté de l’individu, Daniel Maja a donné libre-cours à sa fantaisie. Qu’importe si celle-ci s’est un peu emberlificoté les pieds dans la chronologie représentative : la figure de ses sages empruntent davantage au Gréco ( mais à la réflexion l’on ne quitte pas la Grèce ! ) qu’aux vernis noirs ou rouges de la poterie antique. Pire, il traîne dans les dessins de Maja quelques relents subliminaux de Christianisme ! Ainsi dès la double page d’ouverture, le serpent de la ciguë socratique qui s’entrelace, tel un caducée mercurien, au bras tendu du Sage vous a un de ces petits airs de reptile paradisiaque qui ne trompe pas son monde.

Mais c’est sans doute le deuxième tableau qui remporte la palme du crypto-christianisme. Notre Sage, maigreur éthique de Don Quichotte et mine éjouie de Sancho ( qui Pansa aussi ) chevauche une squelettique Rossinante. Sa lanterne Diogénique à la main il recherche la mort qui, lui disant plutôt oui que non, lui fait signe. Qui pourrait s’inscrire en faux devant une telle icône médiévale ?

Sur la précédente image nous longions au moins un marais phlégélien nous voici embarqués pour l’île de la mort. Deux cyprès holbeiniques ne sont pas là pour nous rassurer. La barque est étroite, le Sage est à l’avant et essaie de tâter la froideur de l’eau. Karon s’est déguisé en cheval-jupon. La mort a toujours été une divine comédie. Nous craignons toutefois que l’eau du bain ne soit trop froide. Pas fou, le Sage ne fait que passer.

La police est sur les dents, lit-on parfois dans les journaux. Le Sage aussi. Sur celle d’Apophis le crocodile du fleuve des Morts. Inutile de s’affoler, du haut de son rostre alligatorien, le Sage devise sereinement avec quelques pairs de la philosophie pieds nus sur le sable sacré du jardin aux asphodèles. Il a de quoi, ce n’est pas un sot qui ne saurait rien, le saurien lui ouvre la gueule avec la délicatesse de la baleine qui recrache son Jonas, sur les jaunâtres méplats du coloriages. C’est caïman pareil !

Quatrième station. Le sermon sur la montagne. Pas grand monde pour écouter. Ca permet de traiter en même temps la retraite au désert dont nous avons failli être privé. Ah si ! en bas au milieu, quelqu’un qui s’accroche et qui essaie de remonter la pente du savoir. Le Sage a intérêt à faire gaffe, il s’est encordé avec un disciple peu fiable. Deviser ou dévisser, il faut choisir !

L’épée de Damoclès s’est multipliée comme des petits pains. Elles dansent une sarabande nietzschéenne autour de notre Yogi en lévitation. La puissance de la pensée contre la force, le vouloir contre le pouvoir. Nous tremblons de peur. Dans le coin gauche inférieur un poignard rêve de Gandhi. Sénèque n’a pas eu de veine.

Changeons d’époque. Les habitations à loyers modérés ont proliféré. En bas les bretelles d’autoroutes aériennes se tortillent comme le symbole de l’éternel retour au bureau. Le penseur est appuyé à la mort comme le promeneur sur son balcon. Guignons le beau chat noir l’air de rien qui attend son ron-ron. Le maître est parti puiser de l’eau au styx. Chapeau, quelle forme !

Not the least, but the last. Toute histoire court à sa fin. Le Sage est couché sur son lit. De mort. La ciguë s’est modernisée. Elle est maintenant administrée sous perfusion. On n’arrête pas le progrès. De la mort. Nature ou Destin, c’est l’éternel retour du même. Un oiseau de mauvais augure, après le chat de Charles le Corbeau d’Edgar se prépare à couper les cordons de la vie. Fini de s’amuser, le mainate menace ! Il a le sourire en coin et le sablier ne décroît plus à rien.

Le chemin de croix est achevé. Alea jacta est. Exit Maja et la grande illusion de la vie. En contrepoint, brisure d’esthétique, sur la page précédente l’on vous a mis La Mort de Sénèque, de Rubens. Sénèque sur son lit de mort, debout sur un fond aussi noir que l’âme de Néron, avec comme le laticlave d’un pseudo-sénateur qui apparaît sur l’arrière-plan comme un gros madrier qui ne serait pas tombé là par hasard. Si vous n’aperevez que rarement la paille qui encombre votre œil vous ne saurez manquer la poutre dans le dos de Jésus-Christ !

Donc Maja. Pour le reste suivez les conseils pratiques qui vous sont donnés dès l’ouverture du dossier : Cinq Grandes Œuvres Stoïciennes par Thomas Bénatouïl. Vous ne pouvez pas vous tromper. Il y a même les photos des couvertures des livres recommandés.

Mais les articles ? demanderont les premiers de la classe, qui veulent toujours tout savoir au contraire du petit Daniel Maja caché derrière son radiateur qui griffonne sur les feuilles blanches de ses cahiers. Toute la différence entre l’Artiste et les enfants Sages. Toute la grandeur incommensurable qui isole l’Etoile des insectes qui rampent sur la croûte terrestre. Tout ce qui sépare un Néron d’un Sénèque.

Les articles sont honnêtes, documentés, sérieux, et tout ce que vous voulez. Si vous voulez briller aux dîners en ville, répétez après André Murcie, que sur la toute dernière page, il eût été plus marrant pour Charles Dantzig, question couleur temporelle, de présenter son article Jésus es-tu là ? sous la plutarquienne forme d’un parallèle entre Jésus et Sénèque. Et que croyez-vous qui arriva ? Ce qui n’est pas commun, dans une publication destinée au grand public cultivé, c’es Sénèque qui l’emporte.

Décidément un jour et un dossier à marquer d’une croix blanche !

Mais pas trop d’illusion. Maja Daniel is the best. Non seulement cet homme sait dessiner mais il sait lire aussi, car ses croquis sont en résonance parfaite avec les textes qu’ils tillustrent. Qualis Artifex ! Non periit !

André Murcie


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