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Dessin de presse et internet

mardi 19 janvier 2010

Extrait du livre « Dessin de presse et internet » – Editions Eiris
Entretien avec Guillaume Doizy

A quelle date avez-vous créé votre site/blog ?
Le 14 février 2008

Quel était le but au départ ?

Reprendre un rythme de création sous certaines contraintes, avoir sa tâche quotidienne.
Continuer la pratique, comme je le faisais auparavant avec des amis dessinateurs, des jeux littéraires et graphiques dans l’esprit de l’Oulipo, ou des cadavres exquis des surréalistes, nous nous réunissions tous les mardis, apportant nos trouvailles et notre « travail » de la semaine. ces jeux étaient très divers, l’un d’eux consistait à légender les dessins de l’autre, de faire une bande dessinée où chacun créait sa case, tentant de piéger son suivant, fausses cartes postales, dessins à figures imposées, etc. C’était très jubilatoire et productif, on s’amusait beaucoup ; un bon nombre de pratiques qu’ensuite nous avons l’un ou l’autre utilisé dans notre carrière proviennent de là.
Entre-temps, c’était en 1985, j’avais ouvert mon carnet de dessins journaliers, j’appliquais les règles et recettes qu’on avait découvertes et y tentais d’autres expériences graphiques, j’écrivais aussi de courts textes, des aphorismes, des bouts rimés nonsensiques… C’était mon carnet de bord et d’essais, j’y découvrais mon monde, mes modes d’organisation, mes récurrences, j’y formais mon style… La création du blog est la continuation du carnet rendu public et devant témoins…

Pourquoi avoir créé un site/blog alors que votre vie professionnelle semble bien remplie ?

Découvrant l’informatique sur le tard, initié et aidé par James Tanay (bien connu des dessinateurs de presse par le site Iconovox) il m’a semblé que la meilleure façon d’apprendre était d’appliquer immédiatement ce qu’il m’enseignait, donc en toute inconscience, j’ai ouvert ce blog. Je n’avais jamais touché un clavier, pas même de machine à écrire. On peut voir l’évolution en consultant depuis le début les 480 dessins, du trait noir puis colorisé aux techniques mixtes d’aujourd’hui, des légendes laconiques aux textes plus élaborés. L’occasion de créer un genre, de garder le jeté du dessin, sa griffe en lui associant un texte presque aussi spontané qui, à contrario du dessin de presse habituel, ne se soucierait pas de l’actualité ou allusivement.
Je cherchais plutôt la complicité littéraire, érudite et graphique des amis internautes, un goût pour l’humour décalé et nostalgique, le saugrenu autrefois cultivé par les hydropathes et autres fumistes…
Internet est une mine d’érudition farfelue, d’obsessions délirantes, de passions maniaques, il suffit d’y puiser…

Connaissez-vous la fréquentation de votre blog ?

Non, je ne m’en soucie guère, chaque parution est envoyée par mail à près de 250 personnes amies ou connaissances, à part ceux qui consultent le site, peut-être par hasard…

Contrairement à bien d’autres blogs, il est impossible de laisser des commentaires sur le vôtre. Pourquoi ce choix ?

Les amis m’envoient leurs remarques ou soutiens par mail ou me téléphonent quand ils en ont envie, c’est un grand plaisir pour moi, certains entament des dialogues du même tonneau, une amie fait ses commentaires en latin à chaque fois…
Mais ce blog n’incite pas à la polémique, on joue trop sérieusement.

Vos images, très poétiques et d’une très grande richesse graphique ne perdent-elles pas, publiées sur un écran ? Dans quelle mesure la limitation technique a-t-elle pu vous faire hésiter à publier vos dessins sur Internet ?

La seule perte graphique est due à mon manque de maîtrise de l’instrument et peut-être heureusement, car j’ai remarqué que la virtuosité va de pair avec une perte de fraîcheur, d’authenticité et souvent d’intérêt, c’est toute la vertu de la contrainte, des règles, des limites que le professeur (qui enseigna le dessin de presse à l’école Émile Cohl à Lyon) a pu vérifier auprès de ses malheureux élèves. Du coup, on invente ses propres techniques, bâtardes et pittoresques, la cuisine du dessinateur…

En quoi Internet modifie le métier du dessinateur de presse ?

Ce qui a changé, c’est que dans la presse professionnelle, j’étais payé (très modestement et pas assez!) là, c’est la pure gratuité, mais aussi la totale liberté, à mon âge, je m’offre ce luxe…
La nécessité actuelle pour le dessinateur pigiste d’envoyer par internet ses dessins ( les coursiers à mobylette ne viennent plus chercher les plis, d’ailleurs ils étaient toujours en retard, on scotchait l’enveloppe sur la porte, au vu et su des habitants de l’immeuble qui n’ignoraient rien de votre peu recommandable activité) de recourir à cet instrument a modifié les rapports entre dessinateurs et rédaction, on peut être publié sans jamais avoir rencontré le directeur artistique, vaguement avoir entendu sa voix au téléphone…
On est plus vulnérable, plus isolé qu’autrefois, en revanche les sources d’inspiration, de documentation, les références sont accessibles d’un clic…. Alors le dessinateur ne quitte plus son siège, ne sort plus, il se gave de petits gâteaux aux graisses hydrogénées, il boit sa neuvième tasse de café, il s’empâte, diabète et cholestérol sont à l’affût, bientôt l’infarctus ou l’AVC le terrasseront. Requiescat in pace .

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