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Infodoc- Avril 2011

dimanche 10 avril 2011

Une interview de Buno Rigotard pour Infodoc d’avril 2011
Réalisé par le centre de documentation du CLEMI

Coup de projecteur sur …
Daniel Maja, dessinateur de presse

Rencontrer Daniel Maja, c’est mettre à l’épreuve sa culture visuelle, et même sa culture tout court tant le dessin est chez lui l’aboutissement d’une démarche à la fois réflexive et créatrice ancrée dans une démarche artistique. En témoignent les nombreux tableaux qui couvrent les murs de son atelier (on est dans une famille d’artistes) et les livres qui grimpent un peu partout à l’assaut des murs. En déroulant le fil de sa vie professionnelle, on découvre la richesse des activités qu’il a exercées, toutes fédérées par l’expression graphique : illustrateur de livres pour la jeunesse, dessinateur de presse pour de nombreux titres (citons, entre autres, Le Monde, L’Expansion, Le Magazine littéraire, Lire, la revue Le Sauvage, ou encore le New-Yorker), directeur artistique dans un grand magasin, et en dernier lieu créateur du blog « La Vie brève ». Il a connu à la fois l’époque où le dessin de presse était acheminé grâce à un coursier, parfois retouché au dernier moment sur le palier, et il s’est fondu avec bonheur dans les technologies numériques, à travers la création du blog « la Vie brève » qui est un peu la synthèse de toute sa démarche créatrice.

Ainsi, depuis 2008, grâce au blog, il envoie régulièrement à toute une série d’abonnés, des dessins accompagnés d’un court texte ; textes et dessins se répondent, se mettent en valeur, à la fois intemporels et pourtant reliés en biais, de manière très ironique, à l’actualité, mais une actualité décantée, passée au filtre de son regard et de sa culture ; Daniel Maja dit que rien ne le prédisposait aux nouvelles technologies, mais qu’il y a été initié par l’animateur du site Iconovox et que ce blog, dans une période de sa vie où la retraite lui rendait du temps libre, l’a obligé à « s’entretenir » (comprendre : s’astreindre à une discipline régulière du dessin et de l’écriture). Désormais, le blog a

ses fidèles, générant un rapport au public différent de celui d’un dessin de presse imprimé dans un journal : Daniel Maja parle de complicité, car il y a possibilité de réagir au dessin (et ce, sur la page même du dessin). Au fil des mois, des personnages sont devenus récurrents, une narration en pointillé s’est mise en place, un univers s’élabore composé de personnages tremblés, d’animaux chimériques évoluant dans des perspectives architecturales baroques : chaque envoi est unique et pourtant relié aux autres parce qu’appartenant au même univers mental. Le trait du dessin, caractéristique, donne une unité à l’ensemble et répond au style très travaillé des textes, sous leur apparente simplicité. C’est peut-être cette union parfaite du dessin et de l’écrit qui donne à ce blog sa tonalité particulière, flottant entre intemporalité et satire de notre époque. Rappelons au passage que D. Maja illustre depuis longtemps la chronique d’Alain Rey « La Vie des mots » dans le Magazine littéraire

Le blog « La Vie Brève » est en fait l’aboutissement d’une pratique de dessinateur confronté à des problématiques très diverses au cours de sa carrière mais aussi à des rythmes de travail différents. Dans la presse, il faut jongler avec les supports qui ont des rythmes de parution différents, des lectorats différents, les délais sont courts, on travaille dans l’urgence, il faut être réactif…

Dans un tout autre tempo, Daniel Maja évoque les dessins d’humour qu’il fournissait au Monde pour une série d’été intitulée « Bonheurs » (édités ensuite en 2001 chez Glénat) ; il a collaboré aussi aux dossiers philosophiques du Magazine littéraire, avec d’autres défis : comment convertir en représentations graphiques l’abstraction ? Comment dessiner les problématiques de dossiers sur le scepticisme, le stoïcisme ? Comment illustrer la pensée de Darwin.

Par rapport à la presse écrite quotidienne, tous ces dessins sont pour Daniel Maja l’occasion de travailler sur des ambiances oniriques, de pratiquer des décalages visuels.

Dans ce même périodique, il illustrait trois chroniques régulières sur la littérature policière, la littérature étrangère et la science-fiction avec, à chaque fois, la nécessité de retranscrire le climat d’un livre… dont il ne lisait que la critique ; autre expérience également riche d’enseignement, celle de traiter sous forme de dessin l’actualité économique pour le journal L’Expansion. Mais c’est son travail au magazine Lire, qu’il évoque avec passion comme un moment fondateur, de grande intensité : le directeur artistique du magazine, Jean-Pierre Cliquet donnait une grande liberté aux dessinateurs, « leur permettant de réfléchir autour du texte ». Dans cette période des années 80, toutes les semaines, sous son impulsion, des dessinateurs se retrouvent régulièrement pour pratiquer des jeux graphiques et littéraires, avec des contraintes d’exécution, dans l’esprit de l’Oulipo : portraits chinois, cartes postales avec recto-verso identiques, cadavres exquis graphiques, débuts d’histoire, rébus… Cette inventivité, quasi surréaliste, représentait, selon Daniel Maja, un exutoire par rapport aux contraintes des commandes de presse. Grâce à ces jeux graphiques, le dessinateur acquiert la possibilité de traiter n’importe quel sujet et surtout développe un univers personnel qui nourrit la production professionnelle et permet, comme il le dit « d’échapper à la dictature du texte ».

C’est cette expérience qu’il a transmise à ses

élèves de l’Ecole Emile Cohl de Lyon, où il a enseigné le dessin de presse : il leur faisait lire la presse pour leur apprendre à se créer une culture de l’actualité, il leur retraçait l’histoire du trait depuis l’antiquité ( au passage, il évoque le cours qu’il a fait sur les caricatures au temps des Guerres de religions et sur Callot, « reporter de guerre » et caricaturiste ), il leur apprenait à se forger un trait, à ramasser des idées dans un dessin, tout en acquérant une culture visuelle.

Au coeur de tout ce travail, il y a les carnets réalisés le soir, pendant des années, sans esquisse, directement au feutre, à la plume, au crayon, donc sans repentir ; il s’agissait alors de garder la fraîcheur et la spontanéité de l’esquisse qui unit « la vivacité du trait, l’intuition et l’immédiateté ». Dans ce laboratoire, le dessinateur laisse aller l’imaginaire : en feuilletant ce « réservoir à idées », on constate des éléments récurrents, et on voit se constituer à la fois un style et un univers personnel.

A propos du blog « La Vie brève » Daniel Maja parle de « résistance à l’écrasement du temps » et répète : « On ne sait pas où ça va aller » ; c’est sans doute cette « déconcertation », qui l’amuse et le motive : une dérive vers l’imaginaire lancée sur la Toile…

B. Rigotard

Pour découvrir Daniel Maja et son oeuvre
Le blog La Vie Brève http://www.danielmaja.com/
Sur Iconovox http://www.iconovox.com/dessinateurs/maja.html
Interview de Daniel Maja par Pascale Arguedas http://calounet.pagespersoorange.fr/interview/majaexclusivite.htm
Daniel Maja, illustrateur pour la jeunesse http://www.ricochet-jeunes.org/auteurs/recherche/1059-danielmaja

http://www.clemi.org/fr/centre-de-documentation/infodoc/ © Centre de documentation du CLEMI. Avril 2011 – 3/1

2 commentaires sur “Infodoc- Avril 2011”

  1. Kotwica dit :

    Info doc avril 2011 – Danielaus, sicut romanus imperator, laureatus…

  2. JP dit :

    A noter en bas à droite une vieille grenade désabusé tombée du nid .