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Daniel Maja Un dessinateur très littéraire

jeudi 30 janvier 2020

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Daniel Maja Un dessinateur très littéraire

Illustrateur d’une belle centaine de livres, dessinateur dans une vingtaine de journaux et magazines, Daniel Maja est bourré de talent. Ses aficionados auront remarqué la présence récurrente, depuis quelques semaines, de Montaigne sur la page Facebook où ce dandy sybarite nous dispense généreusement des gourmandises culturelles particulièrement savoureuses. Il faut dire qu’il vient d’illustrer, avec une profondeur d’où l‘humour n’est pas exclu, loin s’en faut, des extraits choisis des Essais

Une invitation, ô combien plaisante, à converser avec le plus littéraire de nos dessinateurs.

Entretien avec Janine Kotwica

Daniel Maja

Un dessinateur très littéraire

JK :Vos méditations autour de Montaigne me rappellent les riches heures de votre collaboration avec Le Magazine littéraire. Qu’est-ce qui vous rend Montaigne si proche ?

DM : Il m’est arrivé, en plus de trente ans de collaboration avec le Magazine Littéraire, d’illustrer à plusieurs reprises, soit un dossier complet, soit des articles sur Montaigne. C‘est à partir de ces parutions qu’un éditeur de Sarlat, ville natale de La Boëtie, Romain Bondonneau, m’a demandé d’illustrer son Sédiments n°10, où vingt- cinq écrivains, magistrats, médecins, hommes politiques, artistes… expriment en quoi la lecture des Essais, du Journal de Voyage, avait changé leur pratique et manière de vivre. Vingt-cinq thèmes, l’amitié, la liberté, la violence, la justice etc, y sont abordés. Ce sont des thèmes que j’ai d’ores et déjà illustrés. J‘ai donc repris mes Montaigne, l’Apologie de Raymond Sebond, le livre épatant de Sarah Bakewell « Comment Vivre Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponses, le Montaigne à cheval de Jean Lacouture et d’autres encore lus autrefois.

Vous aviez, pour le Magazine, illustré de nombreux dossiers, souvent philosophiques. Je n’ai oublié ni Les Épicuriens, ni Le Retour des sceptiques, ni Kant, ni Nietsche, ni Schopenauer… On ne peut les citer tous. D’où vous vient cet attrait pour la sagesse et les spéculations ?

Là, je dois rendre hommage à une professeure de lettres de l’école Estienne, Madame Ranc, qui roulait les « r » comme Bachelard et Colette. Elle nous fit découvrir la Littérature au long cours, les Thibault de Martin du Gard, la série des Pasquier de Duhamel, Jules Romains, il fallait s’embarquer et avoir du souffle, et puis Alain, dont les Propos l’inspiraient. Les cours commençaient souvent par une anecdote, une observation de la vie commune, la réflexion d’un élève, un fait divers, une exposition, et bientôt de proche en proche, Camus était convoqué, Diderot ou Molière, Rousseau ou Socrate, mais aussi la guerre, celle de 1914, et les valeurs morales bien malmenées, le pacifisme, le nihilisme, le goût des fraises, la Sido des Vrilles de la vigne ou l’aventurier Henri de Monfreid. Tout était Philosophie et prétexte à penser. C’était la pensée en marche et l’esprit du périgourdin Montaigne ressuscité.

J’ai toujours été impressionnée par votre capacité à mettre en images, avec distance et humour, les notions intellectuelles les plus ardues. 

Je n’illustrais pas au Magazine des textes philosophiques. Je pratiquais une approche sournoise, détendue. Il s’agissait d’en faire respirer l’atmosphère, le parfum. On ne peut être exact, l’idée n’est pas une image, on trouve des analogies, des paradoxes, du saugrenu. Il n’y a pas de règles, le texte, tu l’absorbes mot à mot, tu éprouves les concepts, tu les tritures jusqu’à ce que des images surgissent par associations. Là, il faut un peu de temps, celui de la digestion, mais pas trop et après l’épreuve du papier, tu notes tout, tu concilies les contraires pour voir ce que ça donne. Pas de préjugés, surtout tu évacues les images-lieux-communs.

Votre amour des mots, et surtout des mots rares et même précieux, désuets, exotiques, je m’en délecte dans vos publications presque quotidiennes sur votre blog – vous savez que je déteste cette appellation – que vous aviez appelé Au jour le jour puis La Vie brève. 

J’ai retrouvé le plaisir des mots, l’art de les décortiquer jusqu’à l’os étymologique lorsque j’illustrais les chroniques d’Alain Rey, La Vie des Mots, pour le Magazine littéraire, chroniques savantes qui mèlaient humour, sémiologie et impertinence. L’exercice n’était pas aisé, exigeant le goût du décalage, du non-sens, et celui de l’équilibriste, c’était très amusant.

Les mots précieux et rares, c’était pour surprendre les amis, j’y mêlais des inventions de mon cru, des proverbes persans ou bantous à l’instar de l’ami Vialatte, de faux auteurs. Ainsi un ami crut à l’existence d’un faux géographe et savant de l’Antiquité que même Wikipédia ignorait.

Des livres comme L’Abécédaire de l’Ange, Bonheurs ou La Vie brève sont dans le même esprit, je croisDepuis quand ce rendez-vous du cybercarnet existe-t-il ?

Là, vous évoquez mon activité de ces dernières années. C’est en 2008 que j’ai commencé à publier ces chroniques quotidiennes, « au jour le jour ». Depuis 1985, je remplissais des carnets d’idées, souvent le soir, la nuit même, après les travaux d’illustrations de la journée pour la presse et l’édition. C’étaient des rèveries, des « phantasies », des jeux de l’inconscient, des cadavres exquis solitaires, des impressions du jour réinventées, des notations de toutes sortes, textes et dessins. Je me disais que cet exercice sans but ni contraintes, à la longue et avec régularité, me révèlerait les thèmes récurrents de mon monde imaginaire et graphique, les compositions, les espaces, les hachures, les personnages. Je m’imposais tout de même quelques règles, je conserverais tout, ébauches ratées (?), pas de page arrachée, toutes techniques sans obligation, dessin fouillé ou esquisse vibrionnante, je n’ai jamais fait de collage, les carnets s’accumulaient, j’avais l’impression d’un trait plus libre, insouciant, j’inventais des perspectives subjectives…

Au fil du temps, les textes se sont étoffés et sont devenus très importants. Au début, c’étaient des dessins légendés – ou pas, avec une distance pleine d’humour. Désormais, chaque publication contient une vraie histoire, à la narratologie complexe, avec des personnages, des décors, des atmosphères, des époques fortement caractérisées. Ces petits récits s’enracinent parfois dans l’actualité : vous évoquez aujourd’hui le coronavirus ! Comment nait leur inspiration ?

Au départ, c’était un jeu avec les amis, comme je l’avais fait pendant des décennies avec d’autres dessinateurs, Jean Pierre Cliquet, directeur artistique de Lire, celui de Pivot, et Philippe Honoré, mon ami durant quarante ans, assassiné à Charlie Hebdo. Nous nous rencontrions tous les mardis, nous livrant à des jeux graphiques et littéraires très oulipiens à la mode surréaliste, en plus léger et cocasse. D’autres dessinateurs parfois venaient se joindre à nous.

Nous nous envoyâmes des cartes postales dont chacune d’elles racontait une histoire, des bandes dessinées où chacun à son tour faisait une case en piégeant le suivant, le sommant de trouver un échappatoire à une situation sans issue, des dessins dont un autre faisait les légendes, des portraits chinois… C’est cette expérience que je repris dans Au jour le jour, qui dura 365 jours sans faillir, puis LaVie Brève avec une quotidienneté plus lâche. Je n’ai pas cessé depuis et je publie en outre des dessins anciens relégendés sur Facebook.

Pendant longtemps, vous étiez méfiant à l’encontre des moyens informatiques, et aussi des réseaux sociaux. Vous faisiez partie, comme nos amis Zaü, Dumas ou McKee, des rares artistes dinosaures en ce domaine. Maintenant, vous avez un cybercarnet et vous fréquentez assidûment Facebook que vous alimentez régulièrement. Quelle révolutio!

En 2006, je me suis dit que ces feuilles accumulées avaient formé un terreau nourricier que je pouvais exploiter. En outre, je venais d’acquérir grâce à mon gourou informatique, James Tannay d’Iconovox, un Mac. Je n’avais jamais tapé à la machine ni touché un ordinateur : il m’initia à la pratique du scan, des mails, des bases de photoshop (j’en suis toujours là), me bâtît un site pour exposer mes dessins, une bibliographie, biographie, etc . Mon initiation et ma pratique informatique se firent par la parution quotidienne d’Au jour le jour. C‘était a contrario de tout ce que j’avais fait pendant des décennies, illustrer les textes d’autrui : j’écrivais des légendes et de petites histoires sur des images déja existantes, les miennes, tout en me gardant de décrire l’image, l’intérêt étant la distance, le décalage, la subversion du sens, l’ambiguïté. Souvent les histoires se dissolvaient en eau de boudin, textes ouverts laissant le champ libre à toutes les interprétations et à l’imaginaire des lecteurs.

Qui est Georges, héros récurrent de vos aventures ?

Peu à peu Georges s’est manifesté, sous plusieurs apparences, dans des séquences sans suite, un Frégoli burlesque. Le prénom est celui de mon père, prénom d’une autre génération, déclinable en plein de langues. Georges est en quête, il est taoïste ou soufi, voltairien ou persan, sumérien et biblique, ésotériste ou naturiste, frère du Libre-Esprit ou mormon, il goûte et expérimente tout, c’est Candide, Mr Plume, le soldat Schweik, Sancho Pança et Nasredin… C’est un multirécidiviste du bizarre, il fréquente Gébé, Topor, Willem Busch, aime Schubert et Satie, Fauré et Ravel et, comme tout le monde, la musique baroque et Boby Lapointe. 

Vous avez collaboré avec de nombreux journaux et magazines. Parmi ces collaborations, il y a eu Le Sauvage. Comment avez-vous intégré ce cénacle ? Vous fûtes un fervent écologiste bien avant que la chose devienne à la mode…

Vous évoquez le journal Le Sauvage, c’est mon entrée en écologie en 1972, dans leNouvel Observateur qui en annonçait la création. Ce fut une belle période, tout ce qui est maintenant observé, pollution, pesticide, nucléaire, changement climatique, disparitions d’espèces, Le Sauvage, sous la direction d’Alain Hervé entre 1972 et 1981, l’a analysé, décrypté. Les meilleurs esprits, les plus lucides, y ont écrit. Il était complémentaire avec La Gueule Ouverte. La campagne présidentielle de Dumont, candidat écologiste en 1975, avait pour affiche électorale un dessin paru dans Le Sauvage. Dans ce mensuel de l’après-68, on était curieux et friand de tout, les radios libres, Woodstook, ni Marx ni Jésus, les communautés, avec un renouveau du dessin, de l’illustration et des exigences dans l’écriture. J’y ai dessiné durant 9 ans, jusqu’à la fin, puis ce fut Le Magazine Littéraire et simultanément des publications dans des journaux économiques, L’ExpansionLe Nouvel Economiste, alors grands consommateurs de dessins, et les publications pour la jeunesse comme J’aime Lire, Record, Je lis déjà, etc. sans oublier, bien sûr, mes quelques années de contributions au Monde et au New Yorker.

Est-ce tout naturellement que vous avez orienté votre enseignement à l’École Emile Cohl à Lyon vers l’histoire du dessin de presse ?

Émile Cohl (1857-1938), dessinateur, caricaturiste et magicien, pionnier du cinéma, surtout du dessin animé, parrain de cette école… C’est Yves Got (Le Baron noir et plein d’autres belles choses) qui me mit en relations avec l’École Émile Cohl. Le directeur cherchait un enseignant, dessinateur qui pût enseigner le dessin de presse mais aussi l’analyse des textes publiés dans les journaux. Je proposais, en plus, d’enseigner l’histoire du Trait et de la Caricature depuis l’Antiquité jusqu’aux années 1970, afin de faire découvrir par l’exemple et le contexte, l’évolution du trait dans le dessin et la gravure, en rapport avec les techniques graphiques de reproduction, l’environnement historique, littéraire et artistique. Un panorama synoptique des traits avec des projections sur écran. Ce fut une période très féconde, je crois, pour les élèves et pour moi, il fallait montrer comment, d’un croquis hâtif, pouvait naître une idée riche et forte, comment diriger les associations d’idées, écarter le convenu et le banal. Une épreuve difficile pour les étudiants, après 3 ou 4 années d’études sur la BD, de revenir à une seule image synthétique, de résister à la séduction de l’ordinateur et de réaliser dans le délais bref de deux jours, des dessins de presse. Belle expérience qui dut s’interrompre en 2006 lorsque je pris ma retraite. 

Vous y aviez comme collègues quelques-uns de nos amis, Claverie, Nicollet, Garnier… Que vous a apporté ce compagnonnage ?

Vous évoquez les autres professeurs… Après les journées d’étude, les ballades dans le vieux Lyon, les bouchons avec Jean Claverie, des échanges littéraires avec Maurice Garnier, des dérives avec Jean-Michel Nicollet qui me fit découvrir un Lyon mystérieux, ésotérique, mystique où les figures de Huysmans, de l’abbé Boullan, du docteur Papus ou d’Henri Béraud, les imprimeurs Henri Estienne, Sébastien Gryphe, éditeur de Rabelais, Louise Labé… Des discussions enfiévrées, joyeuses et péripatéticiennes.

Quels sont vos dessinateurs favoris ?

J’avoue ma grande admiration pour Quentin Blake qui, reprenant ses esquisses à l’encre, parvient à conserver la spontanéité géniale de son trait, une improvisation et une liberté admirables qu’il décrit dans un livre époustouflant d’intelligence et de pédagogie subtile, La Vie de la Page, que je tiens pour un chef-d’oeuvre.

Les contemporains : Steinberg, bien sûr, du dessin, il a tout exploré, il a mille épigones, chacun a exploité, consciemment ou non une de ses inventions. André François découvert encore étudiant à Estienne, Tomi Ungerer, Gus Bofa, les affichistes Savignac, Morvan, une liste évidente et classique, tous les grands bédéistes Giraud, Tardi etc… Comment être exhaustif tant il y eu d’extraordinaires créateurs dans ma génération, Lemoine, Delessert, Dumas, Zaü, Claverie, Le Foll : j’en oublie, qu’ils me pardonnent.

Vous êtes un ancien de l’École Estienne et vous êtes resté attaché à cet établissement…

L’École Estienne ? Mon adolescence (1958-1964), l’atelier de Gravure où je n’excellais guère. On m’avait refusé de faire du dessin litho et la sélection de couleurs (manuelle) pour cause de daltonisme (1/10 de la population française en est atteinte sans qu’elle le sache !). La gravure de poinçons et de fers à dorer exige une rigueur, une perfection que j’étais incapable d’atteindre. En revanche, j’aimais l’enseignement artistique et général avec des professeurs exceptionnels, Albert Flocon, prof de perspective aux Beaux-arts, ancien du Bauhaus, humaniste, introducteur d’Escher en France, ami proche de Bachelard, Albert Quéméré dit Rü, dessinateur de presse et de publicité etc. J’y restais deux ans de plus que le cursus normal pour préparation à l’édition qui fut mon premier métier.

Comment avez-vous commencé votre carrière?

C’est Ewa, mon épouse, qui avait fini dix ans d’études aux Beaux-Arts de Cracovie et de Varsovie, peintre, qui me convainquit de dessiner pour la presse. On discutait avec passion et plaisir sur l’art, ça ne s’est jamais interrompu . Je travaillais à plein temps comme Chef de Publicité dans un Grand Magasin. Elle récupérait les dessins faits sur des nappes en papier des restaurants bon marché que nous fréquentions, elle en fit un book qu’elle eut l’audace de présenter à des directeurs artistiques de journaux et de revues (ils étaient à cette époque disponibles). C’était très courageux car plein de déconvenues, de refus, de critiques. Elle fut et demeure mon soutien artistique et moral permanent. Sa persuasion, son obstination et sa beauté vinrent à bout des réticences et un jour, parut mon premier dessin dans Planète (jamais payé) puis dans Votre Beauté qui publiait les plus grands photographes, Helmut Newton, Guy Bourdin, Jeanloup Sieff ou Sarah Moon. J’illustrais une chronique de santé savamment mise en pages en trichromie par Levallois, un ancien directeur artistiquede Réalités. Enhardi enfin par un book présentable, j’allais à la pêche aux commandes d’illustrations.

Vous vous présentez comme un « goinfre de lecture ». Il allait de soi qu’un artiste qui a une culture littéraire aussi étendue illustrerait aussi des livres, et, en particulier, quelques grands classiques. J’avais pour ma part beaucoup aimé Le Superbe Orénoque de Jules Verne. Une commande un peu particulière?

Le Superbe Orénoque fut une commande de l’Institut culturel français de Caracas, pour fêter le centième anniversaire de la parution de l’œuvre de Jules Verne, édité en espagnol et en français, avec une préface d’Alain Gheerbrandt qui organisa l’expédition Orénoque-Amazone dans les années 1950. Il comportait deux volumes sous emboîtage, et l’un avait été illustré par Pancho Quilici, artiste vénézuélien, d’une technique de gravure presque abstraite évoquant des portulans. J’avais choisi, pour mon volume, un style plus narratif rappelant les gravures sur bois du XIXe du Journal des Voyages.

Ces illustrations furent exposées au Museo Jacobo Borges à Caracas, à Paris, à Amiens à la maison de Jules Verne. Vous fûtes, Janine à l’origine de l’achat d’illustrations par le Musée Jules Verne de Nantes.

… après avoir participé, à vos côtés et à la table de l’ambassadeur du Vénézuela, à un mémorable dîner littéraire à la Brasserie Chez Jules ! Vous avez aussi illustré des publications pour la jeunesse. Quelques titres fétiches ?

Des livres, pour la jeunesse ? Des livres de poche avec des illustrations en noir, des classiques, les trois tomes de Fifi Brindacier d’Astrid Lindgren, Émile et les détectives d’Erich Kästner, le Baron de Münchhausen, des contes à thèmes etc. Et quelques albums, Les Aventures de Simplicius chez Ipomée, des fables d’Esope, des histoires mythologiques, Sur les traces des dieux grecs et les Fables de La Fontaine chez Gallimard, des histoire des religions ou des écritures…

Je garde aussi un excellent souvenir du Commencement du monde, avec ses prédelles à la Alechinsky, sur un texte de Bernard Clavel.

Le Commencement du Monde de Bernard Clavel (Albin Michel) était un beau projet : texte fort, liberté dans le traitement de l’illustration et format du livre. C’était une mythologie de l’Origine. Je le traitais comme ces théâtres d’extrême-orient dont les images se déroulent dans un petit castelet, les images se raccordent, même ligne d’horizon, des couleurs au pastel. La première image du feu était un volcan qui pouvait évoquer Alechinsky, la dernière illustration, une centrale nucléaire dans un paysage paisible. J’ai eu beaucoup de plaisir à le faire et Bernard Clavel, qui fut aussi peintre, en parut satisfait.

Vous avez un trait griffu reconnaissable entre tous. Et, même daltonien, vous êtes aussi un coloriste remarquable, virtuose du pastel ! Vos techniques sont très raffinées. Pouvez-vous en parler ?

A propos des techniques, après avoir longtemps utilisé l’encre de Chine pour le trait, pour illustrer sur des papiers couleur à grains ou recyclés, je photocopiais le trait noir, gardant ainsi sa vigueur première de premier jet, puis avec des pastels gras type néocolor, la couleur, plus agressive, plus puissante, plus gaie. C’est quand j’ai travaillé pour le New-Yorker que j’ai introduit cette technique, plus directe, plus simple, plus immédiate. La photocopie me permettait de conserver l’expression et l’énergie du trait de l’esquisse travaillée sans recourir à la table lumineuse pour la mise au point avec le risque d’amollir.

En outre, en cas d’échec de la mise en couleur, pas obligé de tout reprendre à zéro. Cela me donnait une grande liberté et je me risquais à des accords moins convenus. Plus tard, je me suis rendu compte que les bédéistes utilisaient ce procédé au bleu.

On attend toujours, non sans impatience, le recueil de toutes vos contributions au blog. C’est pour quand ?

De La Vie Brève, je songeais un temps à une édition complète, 950 dessins et légendes. Devant l’énormité de la tâche et du coût, nous envisageons maintenant une sélection, la moitié peut-être, par souscription, cette année, si la Providence le veut bien.

Vous avez bénéficié de nombreuses expositions de vos œuvres, un peu partout dans le monde, parfois dans des pays fort lointains…

Ma dernière expo fut à Berlin puis dans des centres culturels, à Paris à la maison Heinrich Heine, Lyon à l’institut Goethe. Elle réunissait des dessinateurs de presse français, Pancho, Nicolas Vial, Honoré, et allemands, Wolfram Hänel, Frank Hoppmann, Rainer Ehrt. La prochaine, j’espère, à Paris, à Sarlat, à Bordeaux pour montrer les 26 originaux du Montaigne et nous.

Une reconnaissance fort méritée… Merci, Daniel !

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