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L’exactitude des songes

mardi 24 janvier 2012


« L’exactitude des songes »* le titre aussi poétique qu’énigmatique du dernier livre de Denis Grozdanovitch. L’auteur du « petit traité de désinvolture » de  » l’art difficile de ne presque rien faire » de « nageurs et rêveurs » , autant d’ars vivere à rebours de l’idéologie contemporaine (rapidité, croissance et progrès infinis…)

52 photographies pleine page, à l’italienne pour la plupart, en majorité en noir et blanc, avec des noirs profonds et denses, des lumières intenses, des douceurs et des veloutés de gris très subtils, parfois la couleur, mais en sourdine, une manière d’héliogravure d’autrefois. Réussite d’édition, et rare.

L’oeil est possédé, captif, envoûté.

Mais ce n’est pas un recueil de photos, fussent-elles belles et envoûtantes, car si les textes sont apparemment innocents dans leur typographie tranquille, lisez les, lentement, attentivement, ou plutôt à voix basse comme pour une confidence, tout en cillant vers l’image correspondante, alors vous êtes perdu, vous avez glissé dans une réalité plus profonde, vous êtes dans la mélancolie de ce qu’on nous a volé: le silence, la douceur, les grains du temps, l’accès aux songes. vous êtes dans les « minuscules extases » d’un précédent livre de Grozda.

Je célébrerai la justesse et le bonheur des expressions, cette manière délicate et attentionnée de nous conduire pour « faire naître la poésie latente qui gît au coeur des choses« , de nous prendre par le mot  pour « ralentir la progressive désillusion qui envahit nos âmes« , pour partager la faculté magique de ressusciter les émotions« ….

Voilà un chemin boueux menant vers la mer, un jour de crachin breton avec de larges flaques de ciel, une boutique d’un photographe fermée pour toujours, une lumineuse et solaire journée sur une île grecque, un escalier menant nulle part, quelque part en Flandre, un autre se perdant dans une friche industrielle, des portraits amoureux de Judith,un chat assoupi dans une tache de soleil, une fillette de dos, sa poupée sous le bras, contemplant la forêt sombre et mystérieuse des contes, des vitres embrumées, des reflets troubles , une tache malicieuse sur un mur décrépi, des bâtiments vétustes du pont de l’Europe dans la lumière hivernale, un jardin abandonné verlainien,  les moulures chantournées d’une porte ancienne….

L’étrange est que toutes ces images si personnelles,  témoins vécus d’instants précieux, semblent les nôtres, nous les avons vues, peut-être même enregistrées, mais il fallait un médium pour les faire surgir des limbes.

Chaque image est une rencontre, un souvenir, révélant un art de vivre et de penser, faisant  fi de la modernité affairée. Elles révèlent les correspondances qui nous unissent aux choses délaissées , aux arbres, aux lichens, aux nuages. Là, dans l’herbe à peine foulée, devant l’usine abandonnée, sort une couleuvre pour nous délivrer quel message? Ici, des reflets invitent à méditer sur l’inachevé. Denis Grozdanovitch capte ces signes, ces appels, ces rappels à vivre et à témoigner.

La préface est un lumineux manifeste pour le savoir-regarder, pour l’attention profonde, pour l’enchantement du banal, des  « choses les plus insignifiantes et les plus dérisoires« , pour la photographie proustienne, elle se clôt  par une citation (il y en a beaucoup dans le livre et d’admirables) de la photographe Julia Margaret Cameron : »J’éprouvais le désir de m’emparer de toute la beauté qui venait à ma rencontre et à la longue, je suis parvenue à satisfaire ce désir »

Daniel MAJA

2 commentaires sur “L’exactitude des songes”

  1. yro dit :

    Beau texte de chimie artistique : fusion dans la poésie des molécules affines du lecteur-commentateur et de l’auteur-photographe… Mais quel est l’éditeur du livre?

  2. Kotwica dit :

    O Daniele, sicut amicus tuus Dionysus Grosdanovicus, pulchras res scripsisti!

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