A cette époque, Dieu commandait tout, les tatous, les chameaux, les pangolins, il faisait d’un seul coup pousser un ricin, puis le faisait piquer par un ver pour le faire crever (Livre de Jonas), les tremblements de terre, c’était Lui, il ouvrait la mer en deux, envoyait des milliards de sauterelles, des tempêtes de sang, faisait pleuvoir quarante jours et quarante nuits pour liquider tout ce qui vivait sur terre, les dinosaures, on sait pas.
Les seuls, bien que créés à son image, qui n’obéissaient pas étaient les Hommes, Il leur envoyait des prophètes pour les admonester, leur faire la leçon, les menacer des pires catastrophes s’ils ne filaient pas doux. Ainsi Jonas pour les habitants de Ninive, il fut si convainquant que ceux-ci se mirent la tête dans des sacs comme nous des masques, idem pour les vaches, les moutons, les poules et les chèvres, puis ils s’assirent sur la cendre (?)
Jonas, qui entretemps s’était bâti une cabane en dehors de la ville, dit à Dieu: « Tu vois, ils ont fait des efforts, ils craignent Ton courroux, ils ont compris que Tu étais le plus fort , Tu peux les épargner ». Dieu se taisait, alors Jonas bouda, s’obstina, fit la grève de la faim, dépérit. Au dernier moment, Dieu fléchit, et Ninive ne fut pas comme Carthage, détruite.
Donc avec Dieu ,on pouvait discuter, ergoter, finasser, faire un peu de chantage, car Dieu tenait à sa réputation. C’était le Patron, mais avec un bon avocat-prophète, on pouvait faire avancer le dossier.
Chez les grecs, les dieux sont plus imprévisibles, ils sont nombreux, ils se comportent comme les hommes, adultères, meurtres, fornications à tout va et pour tous les goûts, ils ont leurs têtes, Athéna protège Ulysse, Poseidon venge l’oeil crevé de Polyphène, Hera est une harpie, elle poursuit de sa haine les partenaires d’occasion de son époux insatiable. On émascule l’un, on fait bouffer le foie de l’autre par un vautour…
On essaie de s’en concilier certains en faisant cuire des boeufs ou des moutons, on sacrifie un coq, mais c’est aléatoire.
Le pari, c’est: tu t’accommodes du désordre, tu prends comme ça vient, c’est absurde, tragique ou cocasse, tu fais avec, amor fati, ou avec l’Autre, tu t’écrases, tu obéis, tu seras même récompensé à Pâques ou à la Trinité, tu peux comme dans la fable du chien et du loup, peser les avantages et les inconvénients : la liberté et ses risques ou la soumission et la gamelle.
Un philosophe qui passait par là proposa un mélange des deux, et ce qui était clair devint confus.
La vie brève |
Merci Daniel pour ce « bleu Jonas » et pour cette évidence : tout part à vau-l’eau et nous devons naviguer dans le chaos. Pour certains, sans certitudes ni croyances. Quelle obstination et quel courage ont les petits humains!
Oui, les sagas bibliques ou théogoniques sont semées de scènes de ménage sanglantes entre l’espèce humaine et sa (ses) créature(s) divine(s), ou l’inverse… Et ça continue!
Il y eut, version comédie italienne, les chamailles tendres et burlesques entre Don Camilo et Peppone. Ce n’était qu’une parodie de guerre froide.
Mais il y a toujours la sacralisation de la violence entre le chien, devenu gendarme, colonisateur ou nationaliste, et le loup, du moins celui devenu mafieu ou terroriste, aux objectifs différents mais chacun voulant néanmoins un dieu dans son camp… Le fabuliste était un poète (et un sage).
Quant à moi, à la position du « philosophe qui passait par là », je préfère celle du physicien Laplace qui, à Napoléon s’étonnant (ou le feignant), que, dans son livre qui décrivait les lois du monde naturel, il ne mentionne pas l’existence de Dieu, répondit: » Sire, je n’avais pas besoin de cette hypothèse ». Aucun sens poétique! Vraiment?
Alors qu’aux yeux de tous l’humanité traînait
Honteusement le poids de la religion,
Dont le spectre flottant dans les régions célestes
Menaçait les mortels de son regard hideux,
Le premier, un Grec, un homme un mortel contre elle
Osa lever les yeux, contre elle se dresser !
Lucrèce. De rerum natura.Chant I. Traduction d’André Comte-Sponville
Certes, on peut toujours discuter avec Dieu, mais avec ses représentants sur Terre, le dialogue devient vite explosif !
Cher Daniel,
Merci une nouvelle fois pour ce magnifique dessin et son profond texte. En le lisant j’ai de suite pensé à Jean d’Ormesson et son génial livre « Le rapport Gabriel ». Ces jours si j’ai aussi été tenté de lire un autre livre sur l’Apocalypse qu’ un ami, le père de Villefranche a écrit il y a quelques années. Mais je n’ai pas encore pris ma décision. Je redoute d’y retrouver trop de choses troublantes et d’actualité. Bon confinement et courage.
Cher Daniel, je ne résiste pas à partager cette
Citation de François de Salignac de La Mothe-Fénelon ( qui, il me semble délivre une forte résonnance avec ton dernier paragraphe ! ) :
« Le faux philanthrope est comme un pêcheur qui jette un hameçon avec un appât :
il paraît nourrir les poissons, mais il les prend et les fait mourir.
Tous les tyrans, tous les magistrats, tous les politiques qui ont de l’ambition, paraissent bienfaisants et généreux ;
ils paraissent se donner, et ils veulent prendre les peuples ; ils jettent l’hameçon dans les festins, dans les compagnies, dans les assemblées politiques.
Ils ne sont pas sociables pour l’intérêt des hommes, mais pour abuser de tout le genre humain. »