La vie brève |

969. Coins proustiens…

jeudi 9 avril 2020

Un coin de table tout au fond de l’appartement entre le mur de l’ouest et le pot de l’Areca trouvé assoiffé, flétri et anémié dans une poubelle face à l’église Saint-Merri, il étale depuis sa santé avec superbe.
Un coin de table donc, où sont venus s’échouer au fil des jours des objets au rebut ou laissés là par distraction composant un espace-temps improbable. Rape à fromage en tôle déglinguée, ultime bout de scotch d’un dévidoir, assiette fêlée en porcelaine made in China, maquereau-leurre en bois peint (provenance: Emmaüs de Berry-au-bac dans l’Aisne) …
Il y a plein de ces coins ici : bouts d’étagères, marbre de commode, dessus de piano, haut d’armoire, bords de bibliothèque, des coins proustiens, des coins lampe d’Aladin: cette pipe étrange dont je ne compris l’usage que bien plus tard, auprès d’un ami journaliste opiomane , ces flèches au curare, le buste de la maman d’Ewa sculpté par sa fille, le brule-parfum mongol rapporté de Sibérie par un zek du Goulag, le vase baroque et contourné en pierre de lard, les cosses de graines géantes séchées, le Dictionnaire des Girouettes et le vade-mecum du Compagnon du Tour de France…
Que de coups de foudre, de voyages, d’espoirs, de regrets.
Et ces négociations interminables, rapports de force et de désir, poker psychologique.
De coins en coins, l’appartement est devenu un insolite et encombrant cabinet de curiosités inutiles.
Il nous reste les vieux fauteuils autrefois mutilés par les chats et maintenant recouverts de killims pour la lecture et un bout de planche à dessin pour le témoignage.

4 commentaires sur “969. Coins proustiens…”

  1. Annelise Koskas dit :

    Je me sens tout d’un coup chez vous – sans me déplacer!! Merci beaucoup!! Annelise

  2. L’accumulation des souvenirs de toutes une vie, les bobos l’appellent  » la déco »! Sans commentaire…

  3. hubert dit :

    cela me rappelle le roman autobiographique  » les vies de papiers » du Libanais Rahib Alameddine qui raconte en prenant le personnage de la narratrice, ses années à Beyrouth où les détails croustillants de sa vie passée dans son appartement défraichi mais bourré d’anecdotes , à traduire en Arabe des livres que personne ne lira .

  4. Daniel Trouillot dit :

    Mes souvenirs se dissolvent dans ma tête, mais je ne garde pas les jalons que constituent les objets.

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