Petit matin, sur la terrasse de l’hôtel, Georges est en pleine saudade, il rêve à des lointains flous…
Le bateau s’approche de l’Ile des mots perdus, il va y faire escale comme il y a douze ans.
Il apporte sa provision récoltée ces dernières années: des mots creux, dévalués, avariés, anémiés.
Il reconnait l’anse protégée des vents où il débarqua. Un canot l’emmène à terre…
HISTOIRE de L’ILE des MOTS PERDUS
Une ile de l’Archipel des Logos.
Une ile où séjournent après un long usage ou rejetés parce que tabous, les mots perdus ou oubliés sur des bandes de papier qui se déploient dans le vent, certains s’envolent et d’alizés en moussons rejoignent les côtes.
Parfois, des philosophes-botanistes viennent sur l’Ile pour prélever quelques mots et les rapportent en Occident. Ils tentent de les acclimater, en serres, puis en pleine terre, avec des soins infinis. Certains s’enracinent, d’autres s’étiolent et avant de mourir, s’envolent vers l’Ile.
Mais ceux qui prospèrent, se multiplient, et de vigoureux se font conquérants, ils suscitent des disputes, attisent des haines, bientôt des révolutions, des guerres…
De dégoût, trop de sang, on les rejettent alors…
Oui, et d’un autre point de vue le mot a été une ressource économique importante de plusieurs de ces archipels. Mais à sa culture traditionnelle autrefois prospère a malheureusement succédé dans la plupart des îles l’ère des plantations de sèmes mondialisés d’origine centralisée, génétiquement unifiés. A la cueillette sauvage, au jardinage potager, aux marchés forains, ont succédé l’import-export et la grande distribution contrôlés par des multinationales. La cuisine et la consommation des mots en ont été bouleversées. On est passé de la diversité des recettes de famille, de région, à une gamme unique de quelques plats préparés. Des anciens mots nourriciers, mots goûteux, épicés, mots bus et savourés, du mot pharmakon même, mot guérisseur et mot poison, propre aux magies locales, mot qui parfois reste « en travers », qu’on crache, voire vomit, mais qui fouette le sang, on est passé aux mots mâchés et remâchés, sans saveur, qu’on finit par ravaler avec résignation… Tout ceci est banal mais les mots me manquent pour le dire mieux.