La vie brève |

784. Guignol and Cie

samedi 26 décembre 2015

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Le Guignol du bois est fermé. Monsieur Personne, le Marionnettiste s’en est allé avec ses pantins.
Son dernier spectateur, un vieil inspecteur des Renseignements Généraux passait là tous ses après-midi, il se nourrissait d’un sandwich au thon/mayo apporté de la maison, attentif aux variations des saisons.
Il nota ce jour là sur son carnet gris-administration: « Ciel bleu cyan délicat, quelques nuages effilochés et cette belle lumière d’hiver, jaune pollen si précise, des mouettes fientent distraitement en vol, des perruches devenues indigènes pépient dans les platanes défeuillés, R.A.S. »

Mais, plus tard, des évènements fâcheux survinrent et l’inspecteur fut muté, il dut faire un rapport précis de ses journées, il nota:

 » J’ai vu là, sous les titres anodins de « petit Poucet », de Barbe-Bleue ou de Blanche-neige s’exprimer les vices les plus vils et les passions les plus funestes, des criminels impitoyables, des ogres cannibales, des empoisonneuses, des enfants abandonnés, des vengeances iniques, j’ajoute que les auteurs de ces contes dépravés étaient deux frères allemands, en outre, Guignol, alias Polichinelle, brocarde la Gendarmerie, bafoue l’Ordre et la Bienséance, c’est un marane anarchiste.  »

Si bien que Monsieur Personne dût faire ses malles et décampa. Lyon, Sienne puis Venise et enfin Naples où il se fît engager au « Piccolo Teatro miracoloso e straordinario » sous le pseudo transparent de Dottore Tiepolo.
Il y écrivit là:   » Vie, Passion et Transfiguration de Pulcinella ».
un drame lyrique en 365 actes et 52 tableaux sans entracte, qu’il interprétait seul avec ses 20 hétéronymes.
On le joue tous les 25 décembre, représentation unique, on réserve des années en avance.

2 commentaires sur “784. Guignol and Cie”

  1. yro dit :

    On voit bien une certaine xénophobie propre aux milieux policiers dans l’attribution des dangereux libelles de Barbe-Bleue et du Petit Poucet « à deux frères allemands ». Ils ont en fait été écrits et répandus dans la population enfantine un siècle avant par un agitateur parisien, dont le frère était médecin et occasionnellement architecte. Le vrai coupable de leur influence pernicieuse étant d’ailleurs aujourd’hui un marionnettiste américain dont j’ai oublié le nom.
    Quand à lui-même, ce Monsieur Personne, ma grand-mère psychanalyste l’a connu à Lisbonne dans les années 30. Elle l’avait rencontré au Jardim Botanico, où il mangeait son sandwich, toujours thon-mayonnaise, sur un banc, en barbouillant sa moustache (j’ai une photo).

  2. yro dit :

    Erratum. J’ai erré. Troublé par la magique fantasmagorie de la scène et du récit l’accompagnant, j’ai confondu en un seul personnage le marionnettiste et son dernier spectateur. Mais est-ce grave, docteur? Les notes de ma grand-mère sur son ami Fernando ont malheureusement disparu.

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