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In Danieli blogo felicitas

vendredi 25 mars 2011

Dès ma première rencontre avec  Au jour le jour, j’ai été définitivement séduite, et mon ouverture quotidienne du site de Daniel Maja a tout de suite pris la forme d’une addiction. Car chaque nuit,  je n’allais pas me coucher sans avoir découvert, en guise de friandise vespérale, le message du jour, et sans l’avoir ponctué, avec une jubilation certaine, d’un bref commentaire en latin.

Le rendez-vous, devenu, depuis le 11 avril 2009,  La Vie brève, est désormais moins fréquent, mais plus stimulant que jamais.

Je suis depuis toujours une fan zélée de son art. Des  recueils comme Bonheurs ou L’Abécédaire de l’Ange, issus des carnets qu’il pratique depuis 1985, m’ont comblée de joie et le commissariat de l’exposition amiénoise De natura rerum consacrée à ses dessins du Magazine littéraire reste un grand souvenir de connivence amicale et de plaisir intellectuel partagé.

Mais  ce blog – quel vilain nom pour une si belle chose! –  qui évolue au fil du temps, me réserve des plaisirs  inattendus et je n’ai pas fini de m’émerveiller de la profonde culture, de l’insatiable curiosité et des talents graphiques et littéraires de son auteur. .

C’est qu’on y rencontre du beau monde, sur ce si mal-nommé blog!

Tous les locataires de l’Olympe descendent régulièrement, avec leurs héroïques comparses, en villégiature à Saint Mandé. On peut y croiser, au hasard, Achille, Dionysos, Pan, Eros et Agapé, la Pythie, des Centaures; des Faunes et des Nymphes, Junon, Europe et Léda flanquée de son Tyndare, Circé, et bien sûr, le grand Zeus en personne, tous bousculés et détournés avec une familiarité joyeuse..

Si les références bibliques sont plus rares, elles ne manquent pas de sel, pourtant, que Daniel évoque l’Apocalypse, ou Jonas, « in utero », la coiffeuse Dalila, au mépris de toute rigueur chronologique, avec Pinocchio et le truculent Baron de Munchhausen, ou encore qu’il imite sans vergogne les généalogies des Patriarches de la Genèse..

Y traînent aussi, avec une élégante nonchalance, des philosophes et des savants (Newton, Diogéne, Euclide…), des écrivains (Aragon, Queneau, Becket, Edward Lear,  Rabelais, Cendrars, Marguerite Duras,  Selma Lagerlöf, Shakespeare, Verlaine, Saint Ex… ), des musiciens (Farinelli et le Prêtre roux, Wagner et sa Walkyrie, Beethoven et sa Sonate au Clair de lune, Satie, naturellemnt familier des lieux., Mozart et sa Reine de la nuit..) et des peintres, forcément (Tiepolo, bien sûr, et ses Pulcinella, Chirico, Dürer et sa Melancholia…), même des ermites, stylites et anachorètes, et des ecclésiastiques, confesseurs d’épectase ou officiant … rue de Bièvres!

Le Temps est aboli et l’Espace occupe les étendues lyriques du rêve.

De Saint Mandé, Panthéon de l’intelligentsia culturelle, on fait des escapades dans tous les lieux où souffle l’esprit, dont Paris et Venise, les destinations préférées,  et quelques contrées imaginaires,  Rivages des Syrtes matinés de Désert des Tartares,  meublées de statues étranges, presque vivantes, de cariatides animées et sexuées, de ruines antiques, de gloriettes et de sémaphores, ouvertes sur la solitude des lagunes et les vastitudes du désert ou de l’océan.

Mais Daniel Maja a en outre le pouvoir d’installer le mystère et la poésie dans la trivialité de l’ordinaire,  les banlieues, le périphérique, les entrées d’immeubles, les transports urbains ou le tapis de bagages d’un aéroport, magnifiés par l’humour et  l’imagination.

Les thuriféraires de Daniel Maja apprécient particulièrement son bestiaire, hétéroclite à souhait,  auquel son trait singulier donne une certaine étrangeté. On visite sur ce blog un zoo étonnant avec, omniprésents, des volatiles à l’ inquiétante bizarrerie. Le goût du savant démiurge pour la mythologie explique sa prédilection pour les monstres et chimères. Un jardin des Hespérides oecuménique et surréaliste

Georges – son double fantasmé? –  est un personnage récurrent de son univers. Il évolue au milieu de personnages à la silhouette drôlatique, bedonnants ou longilignes, et vit des amours compliquées, souvent contrariées, avec diverses partenaires plus déjantées les unes que les autres.

Un individu un peu lunaire que ce Georges, rêveur impénitent, venu d’un vague ailleurs, qui semble n’être à sa place nulle part, habité des regrets aristocratiques d’un Lampedusa.

Les habitants de ce blog ouvert à tous vents vivent des aventures décalées, parfois d’un romanesque échevelé. On passe du lyrisme à la drôlerie, à la dérision voire au grotesque, on convoque des souvenirs fictifs mélangés aux vrais, on parodie les romans à l’eau de rose, au second, troisième ou quatrième degré. Les conversations, avec leurs embarras et silences, sont  rendues par savoureuses bribes.

Très présents; pourtant, les petits bonheurs du quotidien..même si, nostalgique de temps plus cléments pour la vie de l’esprit,  on glose ironiquement sur tous les faits d’une société vaine et superficielle.  L’actualité  s’immisce de façon incongrue, non sans gravité, dans des décors intemporels et se mêle à des situations cocasses et poétiques que l’artiste traverse en dandy distrait. De la gourmandise aussi chez ce Sybarite qui fait, non sans sensualité,  l’éloge de la paresse et salive en nous livrant des recettes culinaires aux fabuleux parfums d’épices.

C’est avec bonheur que l’on goûte ici encore le trait magistral de Daniel Maja, griffu, étiré, un compromis de Bosch et du Greco euphémisé par un flegme quasi britannique. La subtilité de ses mises en couleurs, on en jouit aussi, bien sûr. Et, au fil des jours, elles se font de plus en plus raffinées, harmonieuses, incroyablement paisibles, édéniques, en contrepoint de mots qui évoquent sans jamais les décrire, des atmosphères de plus en plus farfelues et iconoclastes.

On était habitués aux légendes brèves et percutantes, élégamment désinvoltes et décalées, des carnets et on en retrouve ici l’esprit. Daniel pratique allègrement, dès l’aube de son  Au Jour le Jour, le mélange des genres, racontant des petits romans condensés, s’adonnant au haïku, au poème, à la ritournelle rimée, convoquant  formules  musicales,.proverbes et citations latines, évoquant doctement des sentences, déclamant des dithyrambes incongrus et ironiques. Il joue de la polysémie, manie le jeu de mots, l’oxymore et la paronomase, utilise des termes obsolètes avec une véritable gourmandise lexicale.

Dans La Vie brève, les textes ont désormais pris de la bouteille et s’installent confortablement sur quelques lignes. Ils multiplient les audaces stylistiques, ils poussent la recherche lexicologique jusqu’à frôler la pédanterie, qu’un comique distingué, savamment maîtrisé et distancié, empêche d’atteindre jamais.Les joyaux graphiques de Daniel sont sertis désormais dans une précieuse orfèvrerie littéraire, savante, experte, et souvent très drôle..

C’est vers le centième numéro de Au Jour le Jour que j’ai commencé à répondre par un court message en latin. Le 105 (In cauda venenum, in sexibus felicitas) a particulièrement plu à … Danielus qui m’a alors défiée de continuer systématiquement l’exercice. Chiche? Chiche!

Depuis le pari est tenu, non sans douteux barbarismes  (Georgius in yaourto pedalat), avec quelques emprunts littéraires hasardeux (Daniele, tu patulae recubens sub tegmine fagi), religieux (Ave, maris stella), des parodies irrévérencieuses et des expressions ou proverbes détournés ( Timeo Danielum et imagines numerosque ferentem, Vox Georgii vox Diaboli.)….

Les anachronismes,  notions et personnages inconnus chez les Latins, ne facilitent pas ma tâche (Mater Ubu Pulcinellae uxor? Irreverens Danielus!), non plus que la complexité des idées et des situations, mais ce qui est dit est dit.

Janine Kotwica scripsit, scribit et scribet.

Ad majorem Danieli gloriam, et in saecula saeculorum…


3 commentaires sur “In Danieli blogo felicitas”

  1. Kotwica dit :

    Verecundis verbis meis qualis honor!

  2. JP dit :

    Dieu soit loué le Christ est ressuscité

  3. Michelle Nikly dit :

    Que ça fait du bien, après toutes ces semaines de minables verbiages, de lire enfin vraiment ; un article avec du contenu, qui fait rire, réfléchir, réviser, bref, tout ce que j’aime. Bises, Janine.

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