La vie brève |

778. Abdul Abbas

lundi 30 novembre 2015

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A matines, lorsque les cloches sonnèrent, on nous mena voir l’éléphant blanc. On prétendait que c’était le descendant d’Abdul Abbas, l’éléphant albinos offert à Charlemagne par Haroun al Rachid, qu’Isaac, un marchand juif, avait convoyé jusqu’à Aix la Chapelle.
Une douce pente vers la mer permettait au pachyderme de se baigner, on le brossa, le sécha, on l’enduisit d’onguents rares et exotiques. On nous fit l’honneur du palanquin d’ébène et d’ivoire.
Nous saluâmes la foule qui s’était amassée sur le quai, nous répondîmes aux vivats et aux cris.
Bientôt la Procession vint à notre rencontre, prêtres en dalmatiques safran, les fraternités des contras, les pénitents gris et les rouges, les pèlerins de Jérusalem et la Garde Templière, tous entonnant les Hymnes.
La Bénédiction dans toutes les langues de la chrétienté fut l’ultime cérémonie de la journée.

Le lendemain, au lever du jour, nous prîmes le large.
A notre retour, nous apprîmes que la peste s’était déclarée dans la cité et qu’Abdul Abbas était mort d’abandon, de neurasthénie et de pneumonie. Sa peau, tannée, couvre les murs du salon d’apparat de la Casa Polifonico qui fut la demeure consulaire de notre libre République.

Johannes Münzer – Journal d’un pèlerin suisse

Un commentaire sur “778. Abdul Abbas”

  1. yro dit :

    De la côte de Malabar – ou des savanes africaines? – à Aix la Chapelle, via – peut-être Bagdad – Carthage, Gênes et Venise, par les monts et les vaux médiévaux, le lent pélerinage ou plutôt l’exil impassible du pachyderme tropical dans la chrétienté carolingienne est une bien belle et assez triste histoire, que Galland aurait pu ajouter aux Mille et Une Nuits. Les flammes du ciel, dans ce crépuscule sérénissime, au dessus des prêtres pensifs et indifférents, en exaltent l’épopée silencieuse et la mélancolie – un peu sur les mêmes chemins que « nos » « réfugiés » – je le remarque…

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